Aujourd'hui, c'est interdit de parler de boulot. Interdit. Interdit, sinon on se méritait une tape derrière la tête. On se sert la main et c'est parti pour la journée.
La porte de la valise de la voiture grande ouverte, Iseul mettait ses pantalons de neige et disparu rapidement dans son suit de neige. Méconnaissable. Ensouvlie de la tête au pied de tissus, le capuchon sur la tête. Mais elle était prête, ça allait être fun! Une belle journée relax avec aucune raison de stresser.
Le plan de match, aller faire de la glissade sur tube et après on verra bien. Aucun stress, on fait ce qu'on veut, c'est comme une journée de vacances, vraiment! Et vraiment, outre les premières montées où Iseul ratait systématiquement de poser ses fesses dans le tube du remonte-tube, ça se passait super bien. Ça avait fait bien longtemps qu'Iseul n'avait pas eu de fous rires comme ça. Elle en avait mal aux joues et elle pleurait à s'en rouler dans la neige. Surtout la dernière fois où elle avait raté le remonte-tube, avec le rebond elle avait volé si haut pour tomber dans le banc de neige pas loin. Pour sûr que Lucas ne l'avait jamais vue autant rire comme ça dans l'espace d'une petite heure.
Viens viens! Tiens ma main! On la fait ensemble celle-là! lui dit-elle, bien assise dans son gros beigne gonflable sur le bord de la pente.
La plus haute piste des trois pistes destinées à la glissade sur tube, avec des bosses. Ça, ça allait être fun. Ils voleraient presque, sûrement. Un peu d'adrénaline!
Peut-être que c’est ce qui m’avait manqué, toute ma vie : l’occasion de m’amuser. Entre l’éducation stricte de mes parents adoptifs et les règles de l’orphelinat, je n’avais pas exactement eu l’enfance que tout le monde souhaitait, et aujourd’hui, je rattrapais clairement le temps perdu. Puis, je devais bien l’avouer, voir Iseul aussi heureuse me remplissait de joie, moi aussi. Elle en avait tellement bavé, au cours des dernières semaines, des derniers mois. Les idiots qui la critiquaient en ligne et cherchaient à lui nuire ne connaissaient aucun répit. Mais ici, dans un endroit où le réseau était aussi rare qu’un bon film, elle devait en partie être protégée de toutes ces nuisances.
J’avais attrapé sa main sans me faire prier, riant encore, moi aussi, alors que je m’installais sur l’espèce de bouée qu’on nous avait donnée. « Allez ! » Et de rire encore alors que je levais les mains en l’air, avant de me pousser un peu vers l’avant pour entamer la pente en un long cri. Un cri qui allait certainement se révéler dramatique, passées les premières bosses qui arrivaient à grande vitesse. Je m’étais presque senti décoller de la bouée, et voilà que je riais de plus belle alors qu’on arrivait en bas de la pente. « Bordel, j’ai plus ri autant depuis longtemps. Tu veux remonter encore une fois ? » Sinon, aller boire quelque chose de froid lui semblait une tout aussi bonne idée.
Elle qui avait le don de la négativité. C’était si facile de tourbillonner sur soi-même avec tout le pessimiste du monde entier et toute la haine qu’on lui avait longtemps porté. Et pourtant, Iseul vivait à la neige un formidable moment, si simple, rempli de rire. N’était-ce pas plus simple de vivre vette joie que de vivre le contraire? Le cerveau humain est autant une fascination impressionnante qu’un tas de matière merdeuse. Trop complexe.
La glissade sur tube activait la sérotonine à fond. Après de longs mois à stresser, ça faisait du bien. On ne la reconnaissait pas, mais c’était bien elle, dans de meilleures circonstances. Le meilleur d’elle.
Main dans la main, la voilà qui quittait le sommet de l’énorme colline avec Lucas. De son autre main libre, Iseul tenait fermement la poignée de sa bouée, alors que Lucas l’entraîna jusqu’au maximum à lever son bras. Elle voyait bien les jump arriver, elle. Lucas, pas certaine… Il hurlait, ce qui faisait rire encore plus Iseul. Un rire cristalin, définitivement contagieux. On l’entendait probablement au bas de la piste. Ils volaient presque, c’était magique. Une fois tout en bas, Iseul roula pour descendre de sa bouée, toujours en riant.
C’était TROP cool, wow! lâcha-t-elle en étoile dans la neige, regardant le ciel. Ouais, on en fait une dernière. Après on pourrait aller manger un petit quelque chose?
Et rapidement, Iseul se releva pour traîner son gros beigne soufflé d’air pour laisser le champ libre pour les prochaines personnes qui avaient déjà entamé leur glissade.
On refait la même ou on y va plus soft pour la dernière?
En reprenant le chemin vers le remonte-bouée, elle croisa un adorable, tout mini, bonhomme de neige. Tout petit, avec des petites branches en guise de bras, et des cailloux en guise de visage. Pas de carotte, ça ne se trouve pas dans la nature comme ça.
Aww, trop mignon. Faudra en faire nous aussi! proposa-t-elle.
J’aimais bien cette ambiance. Un voyage qui n’était qu’un ensemble de points de suspension dans une vie bien trop agitée, bien trop rapide. Nous étions là pour nous amuser, pour nous changer les esprits et ne pas continuer à nous prendre la tête face à des personnes qui voulaient du mal à l’un ou à l’autre. J’étais heureux, oui, heureux de pouvoir passer un moment en compagnie d’Iseul, tout comme j’étais heureux quand je pouvais profiter d’un instant pour moi, et cela n’aurait pas pu me rendre plus joyeux.
« Allez, bonne idée ! T’as envie de manger un truc précis ? »
J’avais envie d’un truc super gras, mais je ne savais pas si elle accepterait cette idée. Je n’avais jamais rien imposé à Sonagi, au sujet de leur ligne, mais je savais que Rhea, par exemple, prenait la chose très à cœur. En fait, j’avais simplement envie de passer un bon moment avec Iseul, comme un ami, plutôt que comme un manager. Le mélange des deux était ce qui me convenait le mieux, surtout avec tout ce qu’elle vivait, de son côté.
« Promis, on va essayer. » Un rire me vint aux lèvres. « Essayer, hein… »
Parce que je ne pouvais pas lui promettre, on ne contrôlait pas vraiment notre allure, après tout.
« Chiche, quand on a mangé, on fait le bonhomme de neige le plus grand de Vivaldi Resorts, ça te va ? »
C’est sûr qu’elle ne pouvait pas dire non à une proposition pareille. J’avais ri doucement en posant les yeux sur le bonhomme de neige, avant de m’approcher de l’endroit où on allait pouvoir descendre à nouveau.
